Le plus misérable en soi
J’ai connu des mondes qui se sont fait faces.
Un monde de misère et de désarroi.
Un monde de luxes et de paillettes.
Un monde d’eau croupi et un monde de champagne pétillant.
j’ai rencontré des alcooliques, des toxicomanes,
des voleurs, des criminels,
des gens simplement brouillés par la vie.
j’ai vu que l’existence les avait anéantis.
j’ai vu le désarroi, la désillusion, la misère et la violence.
une violence pure, brute, directe.
une violence que personne ne veut voir.
une violence que personne ne veut sentir.
j’ai vu la guerre.
non pas les histoires que l’on se fait sur la guerre,
non pas les récits héroïques.
j’ai vu des jeunes drogués, asservis,
hauts comme trois pommes,
et qui pourtant portaient déjà un fusil.
j’ai vu la haine, j’ai vu la merde, j’ai vu l’effroi.
et puis —
j’ai vu le luxe.
j’ai vu les paillettes.
j’ai vu les costards.
j’ai vu les hauts talons.
j’ai vu le monde de l’argent et du prestige.
j’ai vu ces mondes,
je les ai sentis,
je les ai vécus.
j’ai été invité à y pénétrer profondément.
ce n’est pas dans la gloire, le luxe ou le haut standing
que j’ai reconnu la vérité.
ce n’est pas dans ce monde-là que j’ai reconnu la présence.
j’ai vu des yeux déchirés par l’alcool
raconter plus de vérité que les universitaires.
j’ai vu des êtres bouffés par la vie
m’enseigner plus de sagesse
que les directeurs de multinationales.
la grandeur, la présence, la vérité ne naissent pas d’un statut.
la grandeur, la présence, la vérité et la magie
ne prennent pas naissance dans un palais luxueux.
il est né dans une étable —
au milieu du foin, des excréments,
de l’odeur âcre des bêtes.
il est mort sur une croix —
bafoué, humilié, mis plus bas que terre.
le sang, la mort, la peur et la vengeance entouraient ce lieu.
il n’était pas l’être si parfait que l’on décrit.
il sentait la sciure.
il sentait la transpiration.
et pourtant,
il était un éclat de lumière.
il était au pied d’un arbre durant sept ans,
sans se laver,
sans se lever,
sans imaginer ce qu’il reflétait.
il n’était pas cet être représenté par l’or et les diamants.
il sentait mauvais.
il n’avait plus apparence humaine.
et pourtant,
il était un éclat de lumière.
j’ai travaillé avec un maître spirituel
qui m’a mis plus bas que terre —
humilié, réduit à rien, bafoué.
il ne m’a pas laissé le moindre espace de fierté.
et il m’en a appris plus sur moi
que dans tous les lieux où l’on m’a glorifié,
où l’on a fait de moi un héros.
Dieu n’a pas peur de l’odeur de l’homme.
c’est l’homme lui-même
qui a peur de sa propre odeur.
la perfection n’existe pas.
elle n’est pas sur cette terre.
elle ne le sera jamais.
elle est dans l’imperfection humaine,
dans ces marques que l’on ne veut pas voir,
que l’on cherche à ignorer,
et pourtant,
qui sont tellement nous.
c’est parce que tu sais ce qu’est la boue
que tu peux vraiment connaître la lumière !