Sous la pression du monde

Quand la structure devient prison

Je n’ai pas choisi la police.
C’est elle qui m’a choisi.

Certains en rêvent depuis l’enfance.
Pas moi.
Je cherchais l’adrénaline, le feu, le service, quelque chose de plus grand que moi.
Un métier où l’on agit, où l’on aide, où la vie circule.
Pas un travail d’enfermement.
Alors la police s’est présentée à moi.

Je n’ai pas tout de suite compris ce qu’elle portait :
la rigueur militaire, les codes, la hiérarchie.
Je n’ai rien vu venir.
J’ai simplement appris à m’y adapter.

Mais l’adaptation ne se fait jamais d’un seul coup.
Elle s’insinue lentement, comme une substance invisible.
Tu respires quelque chose qui te transforme,
et sans t’en rendre compte, tu deviens un autre.

Un autre, oui.
Un être qui a peur de mal faire à chaque intervention.
Peur du regard de la hiérarchie,
des remarques, des jugements, des collègues.

Alors, sans le vouloir, tu te blindes.
Tu fermes.
Ce qui te touchait ne te traverse plus.
Ce qui t’émouvait devient banal.
Ce qui te semblait sacré se tait.

Un blindage progressif, une disparition de soi.
On ne veut plus sentir la douleur,
ni celle des autres, ni la sienne.
On devient fonctionnel, presque mécanique.
On fait son travail,
on encaisse,
on se tait.

Ne rien montrer à personne.
Ni les fissures, ni la fatigue, ni les larmes.
Ne pas avouer que le cœur saigne.
Ne pas laisser voir qu’on perd pied.

Parce qu’un policier, ça tient.
Ça ne flanche pas.
Ça protège.

Et peu à peu, la routine s’installe.
On fonctionne, on ne vit plus.
On agit, mais on ne ressent plus.
On devient inatteignable — du moins, on le croit.

Alors la vie, elle, se met à rappeler à l’ordre.
Elle devient la police intérieure.
Elle frappe doucement au début :
un malaise, une lassitude, un goût de trop.
Des avertissements qu’il faut savoir entendre avant qu’il ne soit trop tard.

Certains ne les entendent pas,
et la casse devient immense.
Pour moi, quelque chose s’est arrêté.
Je ne saurais pas dire quoi.
Une démotivation, une perte de sens,
comme si la flamme ne trouvait plus son oxygène.

Et puis un jour, le voile s’est déchiré.
J’ai compris que le mot justice
était bien trop humain pour être juste.

Alors j’ai quitté la route.
J’ai pris une autre direction.
Elle m’a éloigné, un temps, de l’aide aux autres,
de ce feu du service qui m’avait mis en marche.
Mais la vie, fidèle, m’a ramené — autrement —
là où je devais être :
au service du vivant.